Les aventures d'une goutte
de jus de raisin. (Nous
remercions M. et Mme Kolozakc, qui nous ont accueillis au Mas de Pigné
pour nous faire découvrir les vendanges) Nous
avions passé tout l'été au soleil, bien accrochés
à nos rafles parmi les feuilles, à nous gonfler de jus sucré.
Puis le temps changea et devint moins chaud. Les journées furent de plus
en plus courtes. Les nuits s'allongèrent et devinrent de plus en plus fraîches.
Le matin, on était couverts de rosée. |
Un jour, nous entendîmes une sorte de bruit
de moteur: c'était un tracteur. Dans la remorque qu'il tirait, il y avait
des gens. Une fois près de nous, ils descendirent et regardèrent
les raisins. Ils prenaient un grain, l'écrasaient dans leurs mains et versaient
quelques gouttes de jus dans un petit appareil qu'ils mettaient à leur
oeil: c'est un réfractomètre, cela permet de savoir s'il y a suffisamment
de sucre dans les grains pour commencer la vendange. |
 |  | Après
un moment de discussion, ils saisirent les seaux qui étaient sur la remorque
et ils commencèrent la cueillette. Ils ramassaient seulement certaines
grappes, et laissaient tomber celles qui n'étaient pas bonnes parce qu'elles
commençaient à pourrir. Lorsque les seaux étaient pleins,
ils allaient les vider dans des grandes caisses sur la remorque. On se retrouva
tous dans l'une d'elles. On était serré! Puis
le tracteur démarra et on nous emmena vers le mas. A chaque secousse sur
le chemin, on criait. On était écrasé! Tout le monde avait
très peur. Vers quoi nous emmenait-on? Qu'allait-il nous arriver? |
Nous arrivâmes dans la cour du mas, près
d'une machine qui faisait beaucoup de bruit,. Soudain, la caisse bougea: on nous
soulevait, puis on nous renversa au dessus de la machine.J'avais
peur parce que j'avais la tête à l'envers. Nous sommes aspirés
et je me retrouve dans le tambour qui tourne à toute vitesse. Je tiens
ma rafle solidement, mais je me fatigue et je lâche. Je me fais éjecter
avec mes copains et nous tombons dans un récipient. |
 |
 | Une vis
sans fin nous attrape et nous pousse dans un tuyau. Nous sommes très serrés
et il fait très sombre. On a l'impression qu'on monte. Tout à coup,
on va plus vite et on tombe dans une cuve. |
Là, les levures s'attaquent à mon sucre et le transforment
petit à petit en alcool. En même temps, elles produisent du gaz carbonique.
de temps en temps, je vois des bulles de gaz remonter vers la surface.Au-dessus
de moi, je voyais des peaux et d'autres grains tout ratatinés. Au bout
d'un moment, il commençait à faire chaud. Un ouvrier de la cave
enfonça dans notre cuve une sorte de radiateur dans lequel passait de l'eau
froide. Cela me rafraîchit. maintenant, je vais mieux. Cependant, l'odeur
d'alcool augmente de plus en plus.On nous abandonna là
longtemps. De temps en temps, on voyait passer le drapeau (le radiateur), ou on
nous remuait un peu en nous pompant et en nous forçant à passer
à travers le moût qui restait à la surface de la cuve. |
 |
Mais un jour, on entendit un nouveau grincement et on s'est
senti aspiré, comme par une tornade, mais vers le bas. On n'était
pas très rassurés. J'ai compris qu'on allait passer par un robinet
placé au bas de la cuve. Tout à coup, on se heurte à une
forêt: des paquets de sarments nous laissent passer, mais retiennent les
peaux et la lie. Emporté par le courant, je suis obligé de lâcher
ma peau. Voilà que je tombe! Je plonge, je passe dans un gros tuyau sombre,
et j'atterris dans un tonneau. Je m'accroche à un débris de peau,
je grimpe dessus et je m'endors. |
 | J'ai
appris plus tard que de nombreux camarades étaient restés prisonniers
du moût. On l'a pris et on l'a mis dans un gros tambour horizontal qui s'est
mis à tourner. Les fonds se sont rapprochés et ont serré
très fort pour que tout le vin prisonnier soit essoré et récupéré.
Le marc restant sera emporté vers une distillerie: on en extraira de l'alcool,
et on s'en servira pour fabriquer toutes sortes de produits: des crèmes
pour la peau, des colorants... | Cela
fait maintenant longtemps que je suis enfermé dans ce tonneau. On nous
a fait rouler un moment, puis on a senti qu'on nous soulevait et qu'on nous posait
en hauteur. Il fait frais. Nous avons compris que nous étions dans une
cave où on laisse le vin se reposer. Tout est calme. Il y a très
peu de bruit. De temps en temps, des bulles remontent vers la surface: encore
du gaz carbonique. Mais il s'en fabrique moins que dans les grandes cuves. De
temps en temps, quelqu'un vient rajouter un peu de vin dans le tonneau. Il faut
croire que qu'il s'en perd... L'évaporation peut-être... Notre odeur
change aussi à force de rester enfermé et de se frotter aux parois
de bois. Enfin, tout est tranquille. |  |
Un matin, on entend un grand remue ménage: on tape
sur notre tonneau, puis d'un coup, tout bouge, on est pris dans un tourbillon:
on se fait à nouveau aspirer. On passe dans un petit tuyau, et on tombe
dans une bouteille qui se déplace. On y colle une étiquette, on
la bouche, et on la couche dans une caisse. Puis on a fait un long voyage dans
un camion qui nous a secoués. Un jour, on nous a posé en pleine
lumière, sur une étagère. Devant nous, il y a avait des gens
qui nous regardaient. Certains attrapaient des bouteilles et les regardaient.
Puis ce fut notre tour. On nous pris, on nous paya, et on nous emmena. Le
soir, un homme saisit une espèce d'outil et forme de T avec une barre entortillée.
Il le planta dans le bouchon, tourna doucement et tira d'un coup sec. Puis, on
nous versa dans un verre. Je sentais qu'il allait nous arriver malheur... Tout
à coup, une main nous saisi, nous leva dans la lumière, nous approcha
d'une bouche et on nous bu... |
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