Chacun de nous souvent connaît bien ses défauts
:
en convenir, c' est autre chose ;
on aime mieux souffrir de véritables maux
que d' avouer qu' ils en sont cause.
Je me souviens à ce sujet
d' avoir été témoin d' un fait
fort étonnant et difficile à croire :
mais je l' ai vu, voici l' histoire.
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Près d' un bois, le soir, à l' écart,
dans une superbe prairie,
des lapins s' amusaient, sur l' herbette fleurie,
à jouer au colin-maillard.
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Des lapins ! Direz-vous, la chose est impossible.
Rien n' est plus vrai pourtant : une feuille flexible
sur les yeux de l' un d' eux en bandeau s' appliquait,
et puis sous le cou se nouait.
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Un instant en faisait l' affaire,
celui que ce ruban privait de la lumière
se plaçait au milieu ; les autres alentour
sautaient, dansaient, faisaient merveilles,
s' éloignaient, venaient tour à tour
tirer sa queue ou ses oreilles.
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Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain,
sans craindre pot au noir, jette au hasard la patte ;
mais la troupe échappe à la hâte,
il ne prend que du vent, il se tourmente en vain,
il y sera jusqu' à demain.
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Une taupe assez étourdie,
qui sous terre entendit ce bruit,
sort aussitôt de son réduit
et se mêle dans la partie.
Vous jugez que, n' y voyant pas, elle fut prise au premier pas.
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Messieurs, dit un lapin, ce serait conscience,
et la justice veut qu' à notre pauvre sœur
nous fassions un peu de faveur ;
elle est sans yeux et sans défense :
ainsi je suis d' avis... non, répond avec feu la taupe,
je suis prise, et prise de bon jeu ; |
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mettez-moi le bandeau. -très volontiers, ma chère,
le voici ; mais je crois qu' il n' est pas nécessaire
que nous serrions le nœud bien fort.
-pardonnez-moi, monsieur, reprit-elle en colère,
serrez bien, car j' y vois... serrez, j' y vois encor.
Florian
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